Le plateau de la Bade

Plaidoyer en faveur de la Bade


La Bade ! Son nom lui vient probablement du mot occitan «Abada» qui signifie colline ou toute hauteur d’où l’on peut «Ba-der», d’où l’on peut voir de. loin. Elle s’étire d’Est en Ouest sur plus d’un kilomètre au Sud de la commune. Elle nous sépare de VILLEMOUSTAUSSOU et de PENNAUTIER dont les limites passent en haut du plateau. Sa hauteur moyenne de 30 mètres nous empêche de voir, depuis nos maisons, Carcassonne et sa Cité. Elle nous prive également du plaisir de contempler la chaîne des Pyrénées et de jouir quelquefois du spectacle féérique des effets du soleil sur leurs crêtes enneigées. Elle limite notre horizon. C’est là, sans doute les seuls inconvénients qu’elle nous cause.


Par contre, elle nous fait bénéficier de nombreux avantages. Bien que le versant qu’elle nous présente soit le plus escarpé on peut accéder jusqu’à son plateau de diverses manières. A l’Est, le CD 118 la traverse à la Moulinasse, à l’Ouest le chemin de Pennautier là contourne. Trois autres chemins à peu près parallèles (de la Moulinasse, du Cimetière, de la Prade) permettent son ascension et la desserte des parcelles. Pour l’exploitatoin des terres ces chemins n’étaient pas trop utilisés à cause de leur trop forte déclivité. Les propriétaires préféraient faire, avec leurs attelages, un grand détour par les domaines de Tissot ou du THOU. On ÿ descendait tout de même des chariots chargés de respectables blocs de pierres de taille et des charrettes de gerbes de céréales, de fourrage ou de comportes de raisins. Il fallait alors un charretier très expérimenté pour tenir le cheval par la bride et un autre plus exprérimenté pour tenjr le frein de la charrette, «pour serrer le mécanique» comme on disait.

Pendant de nombreuses années 7 carrières de pierres à bâtir et une de pierre à chaux ont été exploitées. La mairie, l’église et beaucoup de maisons d'habitation de chez nous et des environs ont été construites avec ce matériau ainsi que bon nombre de caveaux de famille. Il y a 20 ans on en restaurait encore la Cité de Carcassonne. C’était une industrie florissante qui rendrait aujourd’hui bien des services.

Les terres levaient de belles céréales surtout quand le printemps était pluvieux. Le vin de ses vignes était de très bonne qualité. Il s’y cultivait assez curieusement et avec réussite des lentilles ! Les pauvres y avaient leur jardin. Chaque parcelle était et reste encore limitée de murailles en pierres sèches. De nombreuses cabanes offraient un abri très utile en cas de mauvais temps. A l’angle du mur le plus long, à peu près au milieu de la crête, s’élevait une croix de pierre qui dominait l’ensemble. On l’appelait la Croix de «Pampé». Elle s’est écroulée vers 1950. On ne l’a pas relevée. Avec elle, une bonne partie du mur est tombé et obstrue encore le chemin d’accès.

Petit à petit et surtout depuis que la rentabilité fait loi, les terres ne se sont plus travaillées. C’est avec émotion que l’on évoque le courage et le mérite de nos anciens qui se sont obstinés à peiner pour un maigre revenu. C’était vraiment une autre’époque.
Que de souvenirs nous reviennent en mémoire. On y passait de bonnes heures —le jeudi surtout- à ramasser.de l’herbe et à couper des branches pour les lapins et à gambader comme des chevreaux et quelquefois avec des chevreaux. En effets beaucoup de familles élevaient une chèvre. En allant au travail, on la prenait en l’attachant au talon de la charrette. Elle passait son temps à brouter l’herbe ou à manger les feuilles des arbustes des talus en bordure dés vignes ou des champs et on jouait souvent avec elle.


Les lapins pullulaient. Habituellement les chasseurs passaient la matinée à arpenter la garrigue puis, après un bon dîner et une bonne sieste, ils venaient à la Bade tranquillement, certains de s’en retourner, à tous les coups, une demie heure après, avec leur gibecière garnie.
Au temps où les hivers nous gratifiaient de bonnes couches de neige, s’organisaient sur ses pentes à pic, de pittoresques descentes à ski ou en luge de fortune. 

De 1947 à 1950 on avait très sommairement aménagé un champ en terrain de rugby. Il n’avait rien de règlementaire, le rocher émergeait dangereusement à plusieurs endroits, un mur longeait les lignes de touche... Les supporters devaient faire une performance méritoire pour y accéder et ils y venaient. C’était vraiment du sport, on avait la foi.


Voilà un échantillon de souvenirs. Chacun pourrait y ajouter les siens propres.
Actuellement, quelques rares propriétaires continuent à exploiter leurs terres. Les ronces ont envahi le reste. Les ronces mais aussi fort heureusement le thym, la lavande, le romarin, les genêts, le lierre, les arbousiers, diverses variétés de pins et de cyprès, les frênes etc... Les lapins s’y maintiennent, les escargots aussi, ainsi que les asperges sauvages et les champignons. Maintenant la Bade est devenue avant tout un lieu de promenade idéal. Aucun de ses coins ne se ressemble et ils sont tous beaux. Elle change d’aspect à chaque saison et elle est toujours belle. L’air y est pur, les senteurs sont suaves et saines, on s’isole de tout bruit et sur le plateau, on découvre les points de vue magnifiques qu’elle nous cachait. En ces temps où il est souvent question d’environnement, nous pouvons être heureux d’avoir notre Bade. Beaucoup nous l’envieraient.

Mais elle a ses déprédateurs ! Il ne s’agit pas des animaux nuisibles. c’est une autre affaire. Il s’agit hélàs de certaines .personnes... Des cabanes ont été démolies, des arbres sont mutilés pour le seul plaisir de détruire. Cet été, 5 pins ont été brûlés au risque encore d’incendier toute la colline. A Noël, on écime des jeunes pins pour servir d’arbre de Noël... Tout, cela est très grave et sévèrement puni par la loi. Faudra-t-il s’organiser pour se défendre des démolisseurs, des pyromanes, des voleurs ? Faudra-t-il se clôturer et interdire le passage par un moyen quelconque ? Il faut savoir que, même si elles paraissent abandonnées, ces terres ont un propriétaire. Il est vrai qu’à notre époque la notion de propriété est périmée. On ne respecte plus la propriété... d’autrui. Soit ! Mais alors, si ces déprédateurs se croient partout chez eux, qu’ils fassent comme ils feraient chez eux : qu’ils respectent les plantes, les arbres, les murs, les constructions. Qu’ils soient logiques jusqu’au bout : qu’ils travaillent les terres, qu’ils soignent les plantations, qu’ils rebâtissent les cabanes. Chiche!

Heureusement, un grand espoir s’élève pour l’avenir de notre Bade. On parle beaucoup d’écologie, on informe et on forme sur cette question à tel point qu’à peu près tout le monde se dit écologiste. Il s’agit que chacun ait l’honnêteté de l’être en pratique. C’est une belle occasion. Que les anciens d’entre nous qu’elle a vu naître et qui la connaissent à fond, que les nouveaux qui ont fait connaissance. ou qui la feront, la découvrent et sachent l’apprécier à sa juste valeur, elle sera alors par tous respectée, aimée et protégée. Elle en vaut la peine.
Marcel SICART (avec la collaboration de M. Jean CALVAYRAC


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