Pièce coupée de Montipèze

(C'est une pièce semblable qui a été retrouvée: il s'agit de l'as de Nîmes (Dupondius).L'As était une unité monétaire qui correspondait à la base à une monnaie de bronze coulée comportant à l'avers deux têtes adossées, à droite celle d'Auguste nue et à gauche celle d'Agrippa avec la Couronne)

"Cette pièce, ou plutôt cette moitié de pièce, fortement patinée, est une monnaie coloniale de Nîmes, si connue et si abondante dans notre région. Des deux têtes adossées d’Agrippa et d’Auguste, c’est la seule tête d’Agrippa qui paraît sur la monnaie, intentionnellement sectionnée et déposée dans une sépulture : deux motifs qui nous ont fait écrire les considérations suivantes:
C’est dans les tènements 150 et 141 du cadastre de Villegailhenc appartenant au domaine de Montipèze, que MM. Lacuve, père et fils, en faisant charnier et travailler sur le plateau qui domine Montipèze, du côté sud, ont mis à jour avec plusieurs fragments de poterie de toute sorte, au moins trois squelettes en un seul endroit. D’autres ossements à une deuxième sépulture et enfin de nombreux ossements avec dalles, meule ancienne, poteries diverses et ossements dans un troisième gîte.
Il est inutile d’insister sur ces spécimens de diverses poteries, poterie noire fruste, poterie grise plus fine, poterie jaunâtre à grains grossiers et enfin poterie unie de Graufesenque (première période de fabrication de cet important centre de céramique gallo-romaine); je ne dirai rien non plus des nombreuses briques à rebord carrées ou rectangulaires, des briques triangulaires, les unes et les autres de facture grossière, ni des fragments de vases et d’amphores qui jonchent le sol dans ces deux tènements de Montipèze; je ne signalerai en particulier, qu’une grosse pendeloque originale, espèce d’amulette, sans doute bien lourde à la personne qui la portait, mais la sépulture qui nous occupe — nous sommes mis en face de tombes à inhumation, ou tombe à fosse, longue de 1 mètre et plus, où le squelette, non plus incinéré, mais enseveli, était déposé quelquefois à même la terre, et plus souvent était .protégé par plusieurs dalles formant sarcophage ou simple cuve et par plusieurs briques juxtaposées formant voûte. De là, les très nombreuses dalles et grandes briques pour la plupart brisées, éparses çà et là dans ces deux tènements de Montipèze.

Nous savons, d’autre part, que les sépultures de jadis renfermaient parfois de nombreuses monnaies, et .même de véritables trésors monnayés, mais plus souvent une seule monnaie servant d’obole pour Cha¬ton, le dieu des ombres et le passeur du Styx, toutes monnaies qui permettent de dater les sépultures ; celles-ci ne sont jamais de date antérieure à la date de la monnaie déposée. Mais il est assez rare de trouver, comme à Montipèze, une monnaie coupée; on ne trouve ces as coupés que dans les sépultures, dans les bassins des fontaines sacrées, dans le lit des rivières, ou dans les ruines des temples...
Nous nous trouvons donc en face d’une de ces monnaies coupées, non pas dans un but de sectionnement utilitaire propre à l’échange et à la circulation, mais devant une de ces monnaies — nous le répétons, sans valeur métallique — coupées, seulement avec scrupule, dans un but superstitieux et religieux, puisqu’elles ne sont trouvées que dans des temples, des fontaines sacrées ou des sépultures. Elles témoignaient, par delà la mort, d’une promesse réciproque, d’un contrat, d’une alliance, qu’on voulait perpétuelle. C’était pour deux amis, surtout pour deux époux, la garantie de se retrouver dans l’au-delà ou pour le moins, un souhait, une prière, matériellement exprimée, de ne pas être séparés même dans le séjour dans les ombres. Le cadavre gardait avec lui dans sa sépulture, le fragment de monnaie consacrée; il servait d’obole à Charon mais surtout c’était le moyen de retrouver, avant l’éternel passage, celui ou celle dont il tenait à conserver l’union ou l'amitié fidèles; l’autre moitié était jetée dans le temple ou dans le bassin de la fontaine sacrée pour que la Divinité tutélaire agréât la promesse réciproque et aidât, par son influence, à en assurer la réalisation.
Et voilà pourquoi le fragment* à première vue, insignifiant, de la sépulture de Montipèze, m’a paru digne d’occuper quelques instants votre attention d’amateurs et de chercheurs de vieilles choses."
Bulletin du SESA 1938 Tome LXII p 12